La Nouvelle Garde (Neue Wache) à Berlin est un monument aux morts évolutif, chargé d'histoires tragiques et visant la catharsis. Son esthétique épurée et son message profondément humaniste et universel en font une très grande réussite.
La visite de la Nouvelle Garde à Berlin est incontournable. C'est aussi un coup de cœur personnel.
La période allant de 1789 à 1815 est marquée par d'innombrables guerres européennes, en conséquence de la Révolution française et de l'aventure napoléonienne. Elle inaugure le temps des nations où les ambitions du prince s'effacent devant les intérêts des peuples conscients d'appartenir à une même sphère culturelle et géographique. Pour les Allemands, la question de l'identité nationale est hautement complexe. Le Saint Empire germanique n'existe plus et l'Europe du Congrès de Vienne porte en elle les germes de l'opposition à venir entre l'Autriche et la Prusse. A cela s'ajoutent des particularismes locaux très forts et l'absence d'unité territoriale.
La Prusse profite du sentiment général pour s'accaparer les faveurs de ce nationalisme naissant. A Berlin, le quadrige de la Porte de Brandebourg, confisqué par les armées napoléoniennes, fait son retour en ville. A cette occasion, la croix de guerre germanique et l'aigle impérial font leur apparition sur le sceptre de la Déesse de la Paix. Celle-ci deviendra l'incarnation de la Victoire. Une autre nouveauté est mise en chantier dès 1816 : la construction d'un édifice à la mémoire des soldats tombés au combat. Le monument est réalisé par le brillant architecte Karl Friedrich Schinkel et inauguré deux ans plus tard. Le lieu ne sert pas le souvenir : il célèbre au contraire les armées, garantes de l'idéal national. Les parades militaires et le cérémonial de la garde d'honneur consolident ce narratif.
Sous la République de Weimar, des innovations conceptuelles rompent avec la tradition impériale, mais fondamentalement la glorification du soldat reste inchangée. L'épisode national-socialiste remilitarisera l'espace avec la garde d'honneur pour rendre hommage aux soldats des conflits mondiaux. La RDA maintiendra cette présence militaire après la restauration de l'édifice après 1945, au nom de la lutte contre le fascisme et le militarisme prussien. Avec la Réunification allemande, l'accent est porté sur le sort des populations civiles en proie aux malheurs de la guerre.
Une mise en scène extraordinaire
Située à l'entrée du boulevard Unter den Linden, la Nouvelle Garde est au cœur de la capitale allemande. Sa proximité avec la Porte de Brandebourg, le Gendarmenmarkt, l'Île aux Musées et Alexanderplatz la rend accessible au plus grand nombre. Le bâtiment prend l'allure extérieure d'un temple gréco-romain. Bien que la façade ait été gravement endommagée pendant la guerre, l'ensemble a très bien été restauré et l'esthétique générale est satisfaisante. Sur le terre-plein, des mâts portent les drapeaux aux couleurs nationales et européennes. Cette fois, la garde d'honneur a disparu et est remplacée par un simple gardien. Les portes d'entrée sous la colonnade sont grandes ouvertes : la Nouvelle Garde est libre d'accès.
L'intérieur se réduit à une large place carrée placée en contrebas et couverte de petits pavés obscurs. Les murs sont vides. Aucune autre couleur ne vient troubler l'austérité et la solennité des lieux. D'ailleurs, beaucoup de visiteurs hésitent à franchir le palier pour gagner le centre de la salle. Face à eux, trône seule une statue indéchiffrable au premier regard. Elle représente une femme recroquevillée sur un homme et dévoile une mère pleurant son enfant mort à la guerre. Dans le silence et la pénombre, l'aspect pitoyable de la femme appelle à l'empathie et la compassion. La mère revêt alors la figure de la Vierge Marie et devient à son tour Pietà. L’œuvre est une copie d'un ouvrage de l'artiste berlinoise Käthe Kollwitz, dont le fils tomba lors de la Première Guerre mondiale.
La statue se trouve sous un puits de lumière. Le plafond a été percé et laisse la femme et son enfant mort sans protection, en proie aux conditions climatiques. Lorsqu'il pleut, la pluie ruisselle sur la statue. Lorsqu'il neige, la femme se fend sous les flocons et paraît plus misérable encore. A la nuit tombée, les éclairages tamisés la recouvrent de reflets argentés, la statue semble chromée, presque divinisée. Au pied de cette scène émouvante, une inscription en allemand annonce : Aux Victimes de la Guerre et de la Tyrannie.
Un message intime et universel
Dans sa configuration actuelle, la Nouvelle Garde à Berlin est un modèle d'adaptation, d'intelligence et de mise en scène. En portant l'accent sur les souffrances des populations en temps de guerre, elle rend son message accessible à tous et chacun peut se l'approprier, quelle que soit sa nationalité, sa culture ou sa langue. Au contraire des monuments des grandes capitales européennes, elle refuse le traditionnel hommage aux armées, à la victoire militaire, au soldat inconnu et à ceux morts pour la Patrie ou la Liberté. La guerre n'apporte que misère, détresse et désespoir.
La mise en scène autour du puits de lumière est remarquable mais nous la devons à la République de Weimar qui a percé le plafond du bâtiment. En revanche, chaque régime politique avait choisi une esthétique reflétant des ambitions, des idées et des concepts propres. Le Royaume de Prusse et l'Empire glorifiaient la nation et l'armée : le nationalisme et le militarisme. La République désarmée rendait hommage à ses valeureux soldats, quand le national-socialisme glorifiait le sacrifice pour la survie de la race. La RDA n'échappait pas à ce schéma et condamnait le nationalisme (ouest-) allemand. Les soubresauts historiques imposaient le renouveau du discours national. La Réunification allemande prit le chemin de la repentance, la promesse d'un renouveau national mais aussi la caution morale que l'Allemagne actuelle se différencierait de ses prédécesseurs.
La Nouvelle Garde à Berlin est l'endroit où l'identité allemande actuelle se découvre. Tout est allégorie et interprétation : qu'est-ce qu'être Allemand au 21e siècle ? L'accessibilité d'abord avec une entrée complète, libre et gratuite. L'humilité ensuite avec un hommage dissimulé en intérieur quand d'autres monuments aux morts se trouvent sur l'espace public, extériorisés, au vu et au su de tous. L'universalisme enfin pour mieux montrer la diversité de la société allemande. A cela s'ajoute une esthétique solennelle prenant à partie les visiteurs pour mieux les interpeler et, pourquoi pas, les responsabiliser au nom d'un idéal démocratique.
Atouts
Une esthétique bouleversante
Un message à la portée de tous
Un espace libre d'accès et intime
Limites
Certains groupes touristiques peu respectueux
L'absence d'interlocuteur sur site
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