Le Mémorial des Femmes de la Rosenstrasse à Berlin commémore sur les lieux d'origine les protestations des femmes non-juives contre l'arrestation et la déportation de leurs maris juifs en 1943. Peu mis en valeur, l'ensemble étonne par son style et ses représentations.
La visite du Mémorial des Femmes de la Rosenstrasse est facultative
L'antisémitisme national-socialiste suit un agenda politique à la fois dicté par l'idéologie et les événements extérieurs. Le schéma est simpliste, presque classique dans l'histoire des extrêmes-droites européennes : si l'Allemagne se porte bien, c'est parce que le Juif va mal. Cette notion trouve sa parfaite expression dans le slogan maintes fois répétés dans la société allemande de l'époque "Les Juifs sont notre malheur". A contrario, par un effet de balancier, chaque revers est considéré comme le fait des Juifs, ou plus exactement de la juiverie internationale et donc apatride.
La particularité de l'antisémitisme national-socialiste réside dans sa vision apocalyptique d'un combat millénaire entre Sémites et Ariens. L'intention génocidaire est théorique, mais elle imprègne toute la société allemande et devient une réalité matérielle pendant la Seconde Guerre Mondiale. Pour répondre aux échecs militaires en 1941 devant Moscou et en 1943 dans Stalingrad, le pouvoir nazi intensifie ses politiques antisémites. En février 1943 est décidé de vider Berlin des derniers Juifs, jusqu'ici préservés car considérés comme travailleurs essentiels ou protégés par un mariage mixte. C'est la Fabrikaktion.
Toutefois, le bon fonctionnement du régime repose sur l'adhésion ou, à tout le moins, la résignation de la population. Lorsqu'une opposition majeure surgit, un retrait temporaire s'opère. En février 1943, les épouses non-juives protestent dans Berlin pour la libération de leurs maris et de leurs enfants. Après plusieurs jours de battement, le pouvoir cède et les prisonniers rentrent dans leurs foyers. En 1995, un mémorial commémorant l'événement est inauguré dans la Rosenstrasse.
Au détour d'une impasse
Sur un long boulevard reliant Alexanderplatz, l'Ile aux Musées et plus loin la Porte de Brandebourg, une petite impasse mène au mémorial des Femmes de la Rosenstrasse. Il se situe au milieu d'un petit espace vert entouré d'immeubles en préfabriqué. Souvent jonché de déchets, le parc n'invite absolument pas au recueillement ou à la détente. Au centre, plusieurs blocs sculptés forment un arc de cercle. Leur état est déplorable et le grès des statues laisse apparaitre un manque évident d'entretien. La première impression est celle d'un malheureux cloaque.
Les blocs sont rectilignes et symbolisent l'oppression d'un système déshumanisé. Pourtant, se dessinent dans leur intérieur des reliefs élancés, ceux d'hommes et de femmes. Parfois, ces formes incurvées brisent les lignes du bloc dans un esprit curieusement voluptueux et organique. La rupture s'opère et les ensembles se rejoignent. Il s'agit des femmes réclamant leurs maris, leurs proches, dans un élan irrésistible et libérateur : l'amour, l'instinct de survie peut-être. A leur côté, des blocs résistent et les êtres y restent enfermés, comprimés. Des figures surgissent hors des murs, des individus écrasés par le régime, symbolisant la destruction des personnes et de la culture juive.
En s'approchant davantage, les visages deviennent très expressifs et les volumes jaillissants débordent. Des gravures apparaissent et dessinent des symboles parfois explicites pour qui connait leur signification. Des informations sont inscrites à l'entrée du parc, mais restent assez obscures pour le non-initié. Plus à l'écart, un homme assis sur un banc assiste à la scène. Il représente l'indifférence de ceux qui, passifs, ont manifesté leur indignation ou une certaine approbation. Cette section sculptée est le miroir invitant le visiteur à se positionner face aux événements tragiques qui se déroulent devant ses yeux.
La représentation artistique du fait historique
Le Mémorial des Femmes de la Rosenstrasse surprend sur plusieurs aspects, ce qui explique en partie les réserves et les critiques à son encontre. Le style artistique est très organique, les corps s'enchevêtrent, se mélangent. Les individus forment une masse, un tout cohérent à la fois annonciateur des drames et porteur d'espoir. Tout se passe par le sentiment, d'où la maigreur des informations sur place. Le mouvement crée ainsi une dynamique aux allures héroïques, qui n'est pas sans rappeler le courant socialiste dominant en ancienne Allemagne de l'Est.
L'artiste Ingeborg Hunzinger était une communiste convaincue. Membre du SED, elle avait pris le parti de la RDA et s'y était installée en 1949, devenant par la suite une figure importante de la scène culturelle est-allemande. Malgré certaines divergences, elle resta toute sa vie attachée à ses idéaux antifascistes et socialistes. Ingeborg Hunzinger était aussi juive par sa mère et en tant que demi-juive n'avait ni le droit de travailler ni celui de se marier sous le régime national-socialiste. Elle partit donc étudier en Italie et découvrit les œuvres de Michel-Ange qui marquèrent profondément sa sensibilité artistique.
Le Mémorial des Femmes de la Rosenstrasse trouve ainsi autant ses sources dans le réalisme que dans l'humanisme. Cette fusion, fruit d'un parcours personnel, donne à l'ensemble un sentiment onirique assez perturbant. Est-ce sujet à critique ? La réponse est non car l'artiste a sa vision propre. Cependant, cette esthétique n'invite pas à réfléchir la Shoah pour ce qu'elle était, à savoir un acte de négation absolue à l'encontre des personnes juives. En mettant l'accent sur les femmes non-juives plutôt que sur leurs compagnons juifs, le narratif se trouve profondément altéré.
Atouts
Le dynamisme des sculptures
La richesse des détails et des symboliques
La vision personnelle de l'artiste
Limites
Mauvaise valorisation du site
La Shoah prise à contre-pied
Une œuvre dépassée
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